AINS- le diclofénac – comment un traitement vétérinaire peut il tuer?

 

Quand un médicament vétérinaire décime les vautours : l’histoire méconnue du diclofénac en Asie

Introduction

Saviez-vous qu’un simple anti-inflammatoire administré à des bovins a provoqué la quasi-disparition des vautours dans plusieurs pays d’Asie du Sud ? Le diclofénac, molécule bien connue des pharmaciens, est au cœur d’une tragédie écologique majeure. Cet article explore cette crise sanitaire et environnementale, en montrant comment une décision médicamenteuse peut bouleverser un écosystème entier.

1. Le diclofénac : un médicament vétérinaire courant

Le diclofénac est un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) largement utilisé en médecine humaine pour ses effets analgésiques et anti-inflammatoires. Dans les années 1990, son usage s’est répandu en médecine vétérinaire, notamment au Pakistan, en Inde et au Népal, pour soulager les douleurs des animaux d’élevage comme les vaches et les buffles. Ce médicament était efficace, peu coûteux, et facilement disponible.

 

2. Une tragédie écologique silencieuse

Les vautours, essentiels à l’équilibre de ces écosystèmes, se nourrissent des carcasses d’animaux. En consommant les restes de bétail traité au diclofénac, ils ingèrent la molécule résiduelle, hautement toxique pour eux. En quelques jours, l’oiseau développe une insuffisance rénale aiguë et meurt. En moins de 10 ans, certaines espèces de vautours ont vu leur population chuter de plus de 99 %.

 

Ce déclin a eu des conséquences en chaîne : les carcasses délaissées ont attiré chiens errants et rongeurs, vecteurs de maladies comme la rage. L’impact sur la santé publique a été considérable.

Mais d’où vient cette toxicité ? Chez les vautours, la molécule mère (le diclofénac inchangé) s’accumule dans l’organisme, provoquant une nécrose tubulaire aiguë et des dépôts d’urate (goutte viscérale). Contrairement aux mammifères, les vautours ne possèdent pas les enzymes hépatiques nécessaires pour métaboliser correctement le diclofénac. Des métabolites oxydés comme le 4′-hydroxy-diclofénac et le 5-hydroxy-diclofénac, générés via le cytochrome P450 chez d’autres espèces, peuvent aussi contribuer à un stress oxydatif, mais c’est l’incapacité des vautours à éliminer le médicament qui entraîne une toxicité rénale rapide et fatale.

 

3. Une prise de conscience tardive

En 2004, une étude scientifique a formellement identifié le diclofénac comme la cause du déclin massif des vautours. En réaction, l’Inde, le Népal et le Pakistan ont interdit son usage vétérinaire. Des alternatives comme le méloxicam, non toxique pour les vautours, ont été promues. Pourtant, l’utilisation illégale ou détournée du diclofénac humain pour les animaux persiste dans certaines régions.

4. En tant que pharmacien.ne, que peut-on en tirer ?

Cette affaire met en lumière le concept de « One Health » : la santé humaine, animale et environnementale sont interconnectées. Le rôle du pharmacien ne s’arrête pas à la dispensation : il s’étend à la veille écologique, à la pharmacovigilance et à l’éducation des professionnels et du grand public.

Nous devons rester vigilants sur les conséquences indirectes des médicaments que nous délivrons, surtout en usage vétérinaire. Une molécule peut être bénigne pour une espèce, mais fatale pour une autre. C’est aussi un appel à renforcer les collaborations entre pharmaciens, vétérinaires, écologues et autorités de santé.

Conclusion

Le cas du diclofénac et des vautours est un exemple poignant de l’impact insoupçonné des médicaments sur la biodiversité. Il nous rappelle l’importance d’une approche systémique et responsable dans l’utilisation des produits de santé. En tant que professionnels du médicament, nous avons un rôle clé à jouer pour préserver les équilibres naturels dont dépend aussi notre santé.

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